ITx Café #1 : Resilience

ITx Café : #resilience (summer 2020)

Eté 2020 : Interview de Kevin Staut – Champion Olympique et vice-champion du monde de Sports Équestres (Saut d’Obstacle)

« La résilience fait partie de la discipline quotidienne de tout sportif de haut niveau »

A moins de 30 ans, le champion olympique en titre Kevin Staut était déjà champion d’Europe de sauts d’obstacles, la discipline la plus compétitive des sports équestres. Puis il a longtemps été numéro un mondial. Dix ans plus tard, son palmarès impressionne avec notamment un titre de vice-champion du monde et cette médaille d’or par équipe aux derniers JO. Et ce n’est sans doute pas fini !

Toujours au top, il est aujourd’hui encore, à 39 ans, l’un des meilleurs cavaliers français, alors qu’il a dû se remettre radicalement en question l’année dernière lorsqu’il s’est séparé de son principal sponsor et qu’il a donc perdu la monte de ses meilleurs chevaux. Une situation de remise en cause qu’il a déjà connue plusieurs fois dans le passé. Et que la crise du Coronavirus a accentuée cette année juste au moment où il venait de se restructurer et de reconstituer un piquet de chevaux capables de le relancer.

Et pourtant, ce champion – admiré de tous les cavaliers du monde entier – garde le sourire, va de l’avant, investit, se lance dans une multitude de projets et continue à travailler dur chaque jour pour se relancer et reprendre les compétitions au plus haut niveau international dès que cela sera possible. Comment fait-il ?

Bonjour Kevin. Je ne vous demande pas comment vous allez : vous avez l’air en pleine forme !

Oui, merci, effectivement ça va très bien. Même si j’ai bien évidemment hâte que les concours internationaux puissent reprendre, car je suis d’abord et avant tout un passionné de sport et que j’ai la compétition dans le sang. Le sport me manque, mais j’ai profité de cette période si particulière de confinement pour travailler sur ma nouvelle structure, renouer des contacts avec d’anciens investisseurs et quelques propriétaires, découvrir de nouveaux chevaux qui viennent d’arriver dans les écuries et avec lequel j’ai de bons espoirs, retravailler les bases, garder une forme physique suffisante… et me replonger dans la lecture des ouvrages classiques de la culture équestre. Cela fait du bien, de temps en temps, d’avoir le temps de se recentrer sur soi-même.

C’est vrai que le rythme de vie habituel d’un cavalier de haut niveau est assez infernal…

Ces dernières années, les créations de grands événements équestres et de circuits internationaux de concours « cinq étoiles » se sont multipliées dans le monde entier et chaque week-end, il faut que les chevaux, leurs grooms et les cavaliers soient tantôt aux États-Unis, tantôt à Hong Kong, tantôt au Qatar, tantôt en Allemagne, en France, puis encore à l’autre bout de monde. C’est une logistique complexe qui demande une organisation tirée au cordeau ainsi qu’une équipe pointue et motivée. Généralement, je pars le mercredi pour ne revenir que le dimanche soir, voire le lundi matin. Mais c’est nécessaire dans un modèle économique qui reste essentiellement basé sur les gains des chevaux en concours. Et puis il faut accumuler les points pour le classement mondial des cavaliers, qui donne justement accès à certaines grandes épreuves prestigieuses réservées aux vingt ou trente meilleurs.

Cette dramatique crise du Coronavirus est arrivée à un moment délicat pour vous, puisque vous avez dû, l’an dernier, repartir de zéro après la cessation soudaine de votre collaboration avec le célèbre Haras des Coudrettes, auquel vous étiez associé depuis de nombreuses années. Comment avez-vous vécu cette rupture et comment avez-vous préparé votre nouveau départ ?

La rupture a été difficile à vivre parce qu’elle a été soudaine, mais elle n’a pas été dramatique non plus. J’ai eu la chance de collaborer pendant six ans avec des investisseurs passionnés qui m’ont permis d’avoir accès à des chevaux de très haut niveau. Ensemble nous sommes allés au sommet et ça je ne l’oublierai jamais, je leur en serai éternellement reconnaissant. Mais les meilleures choses ont une fin, tout le monde le sait. Et quand on est sportif de haut niveau, il faut savoir garder son flegme et la maîtrise de soi quelque soient les circonstances.

On sait que les grandes victoires s’enchaînent aux cuisantes défaites, qu’il y a des hauts et des bas dans tous les sports. Et plus encore dans le nôtre, car nous dépendons d’animaux sensibles et délicats, qui ont leur propre motivation et leur propre mental. Et puis nous dépendons aussi de propriétaires qui nous confient leurs chevaux mais qui veulent parfois profiter d’un retour sur leurs investissements, ce qui est bien compréhensible, même si ce n’est pas toujours compatible avec nos objectifs sportifs. Des cavaliers qui perdent leurs chevaux parce que ceux-ci sont vendus, il y en a régulièrement dans notre filière, il faut vivre avec.

En l’occurrence, vous n’avez pas seulement perdu un ou deux chevaux, vous avez aussi rompu avec tous les avantages d’une structure confortable. Comment avez-vous fait pour rebondir et pour maintenir la motivation de votre équipe ?

Je leur ai fait part de mon nouveau projet. Celui de m’installer dans ma propriété familiale de Pennedepie, près de Deauville, de la transformer et de me lancer enfin seul en indépendant, en gérant plusieurs propriétaires et non plus un seul, en me structurant pour trouver de bons chevaux et de nouveaux investisseurs et en lançant de nouvelles idées comme par exemple celle de cette écurie de groupe, Vivaldi-Jumping, sorte de club d’investisseurs dédiée aux sports équestres. Une idée que j’ai reprise du monde des courses hippiques, dans lequel ces écuries de groupe existent depuis longtemps. Bref, je leur ai parlé d’avenir et j’ai partagé avec eux mes convictions et mon enthousiasme.
J’ai également élargi le business-model de base habituel d’un cavalier professionnel en montant des partenariats avec quelques grands élevages et en développant une activité de valorisation des chevaux et donc de commerce.

Ce n’est pas la première fois que vous devez affronter une telle rupture dans votre mode de fonctionnement…

Non effectivement, je l’avais déjà vécu deux ou trois fois dans ma carrière auparavant. Mais alors qu’au début, j’étais juste motivé par ma passion des chevaux sans avoir aucune autre ambition que celle de vivre de cette passion, sans objectif de compétition ou de sport de haut niveau, j’ai rapidement eu l’obsession de l’excellence et l’envie d’avancer quoiqu’il arrive. Je voulais être le meilleur possible. Le meilleur groom, le meilleur palefrenier, le meilleur instructeur ou le meilleur marchand de chevaux, je ne savais pas. Mais pas forcément le meilleur cavalier. Je n’étais pas issu du sérail, il fallait donc que je trouve ma porte d’entrée.

Mais une fois que je l’ai trouvée, je n’ai jamais douté que je pouvais continuer à progresser dans ce milieu. Et puis, vers 20 ou 22 ans, alors que je travaillais pour un marchand du côté de Mulhouse, je suis tombé sur un cheval exceptionnel, Kraque Boum, qui avait sept ans et sur lequel j’ai persuadé mon grand-père d’investir. Et là tout s’est enchaîné. Ce cheval m’a emmené au plus haut niveau et m’a permis de rencontrer mon premier sponsor, le Haras de Hus, grâce auquel nous avons pu investir dans d’autres chevaux, jusqu’à cette jument grise formidable, Silvana. Quand il a été question de la vendre, j’ai recherché d’autres investisseurs pour la garder et j’ai trouvé le Haras des Coudrettes.

Chaque étape fut un tremplin dans ma carrière, effectivement ponctuée de plusieurs ruptures plus ou moins faciles à vivre. Mais je n’ai pas ressenti les périodes difficiles. La difficulté fait partie de la vie d’un sportif de haut niveau. On sait que c’est difficile d’arriver au top. Et bien sûr encore plus difficile d’y rester. Ce qui est important, c’est la quantité de travail qu’on est prêt à fournir pour franchir les caps. La capacité physique, je l’ai toujours eue.

Mais j’ai beaucoup travaillé sur mes capacités psychologiques, le fait d’accepter les échecs. Dans le quotidien d’un cavalier professionnel, il y a toujours des choses difficiles à gérer, même quand les résultats sont là. C’est un état d’esprit permanent : faire face, garder sa motivation et celle de son équipe. Il faut répartir la pression, faire comme dans les arts martiaux : encaisser les coups et en tirer de l’énergie. Tous les jours. Toutes les questions « négatives » existent, je me les pose, je les ai en moi, je ne les évacue pas, je ne les élude pas. Mais je ne les transmets pas. J’ai beaucoup douté, mais je n’ai jamais laissé les autres douter. Je sais gérer ces doutes et ils n’entament pas ma conviction que, quoiqu’il arrive, ça va finir par marcher.

Quelle est la part de l’innovation dans votre réussite ?

Elle se situe davantage dans les à-côtés : la communication, la relation avec les médias, avec les propriétaires, les sponsors. Et pour cela, j’ai une équipe extrêmement professionnelle. Mais en ce qui concerne le cœur du métier, l’équitation elle-même, on ne peut pas inventer grand-chose. On est dans un domaine où il y a une tradition bien ancrée, une culture millénaire, tout a été écrit.

Moi qui viens d’un autre milieu, j’ai eu soif de savoir, j’ai lu et je lis encore beaucoup la littérature équestre traditionnelle, je m’imprègne de cette culture, je me l’approprie. Je pense que cette volonté d’apprendre m’a clairement avantagé par rapport à la plupart de mes concurrents fils ou filles de cavaliers qui n’ont jamais eu conscience qu’ils avaient des choses à apprendre.

Finalement, la passion est restée intacte, on dirait ?

Parfois trop de compétition peut entamer la passion, mais il faut savoir toujours garder en tête la raison pour laquelle on fait cela.


L’avis de l’expert

Kevin Staut nous apprend que pour maintenir son niveau d’excellence et sa capacité de réaliser le maximum de ses performances, il faut non seulement avoir une conscience extrêmement claire de sa raison d’être et de ses objectifs, prendre soin de sa propre motivation comme de celle de son équipe, mais aussi considérer que les difficultés, les incidents, les accidents, les ruptures, font partie de la vie « normale » de l’entreprise.

Les accidents, les crises, doivent être pensés non pas comme des catastrophes exceptionnelles mais comme des éventualités probables, prévisibles et donc gérables. Entendons-nous bien, ce qui est prévisible, ce n’est pas la nature de l’accident, c’est son surgissement. Et aucun accident quel qu’il soit ne doit remettre en cause la vie même de l’entreprise.

Au niveau de l’entreprise, cela nous rappelle qu’il est impératif de réfléchir à un PCA (Plan de Continuité d’Activité), métier par métier, incluant un Plan de Reprise d’Activité (PRA) Informatique, qui permet d’assurer sinon une quasi non-interruption, au moins un redémarrage rapide, du système d’information de l’entreprise. En envisageant différents scenarios de crise.

Par exemple, cet épisode du Coronavirus a montré que peu d’entreprises étaient préparées à la mise en télétravail massive de leurs collaborateurs ou à la défaillance de certains prestataires.

Il faut donc des plans de sauvegarde automatisés, un redémarrage automatique des systèmes sur des serveurs virtuels, l’accès quasi-immédiat aux données opérationnelles, avec un transfert de charge presqu’instantané.

Attention, le PRA n’est pas le PCA. Le PRA est sensé intervenir après l’arrêt accidentel de la production informatique et il comporte donc un RTO (« Recovery Time Objective ») c’est-à-dire un délai maximum garanti. Dans le PCA idéal, ce RTO est théoriquement égal à zéro. On ne s’arrête pas ! C’est évidemment très cher. Et peut-être inutile. C’est une question de mesure de risques selon la criticité de ses différentes activités. Il y a des business qui peuvent supporter un arrêt de quelques heures voire de quelques jours de leur informatique. D’autres non. A évaluer donc au cas par cas.

La démarche s’articule généralement autour de trois étapes essentielles :

  • L’identification des opérations critiques
  • La construction de solutions alternatives pour chaque scenario de crise
  • La finalisation des plans (mécanismes de gestion de crise, actions d’urgences, etc.)

Les systèmes d’information construits dès leur conception dans un mode « digital », comme ceux de Netflix, Google, Uber, etc. – n’ont pas été contraints de s’encombrer d’un « legacy » trop important. Ils ont pu dès lors intégrer la résilience « by design », nativement dans leur architecture et l’organisation de leurs opérations et n’ont pas véritablement besoin d’un PRA ou d’un PCA.

Ce n’est pas le cas de la majorité des entreprises plus traditionnelles, qui peuvent néanmoins ouvrir leurs SI à des architectures de cloud public grâce auxquelles elles conçoivent des applications métiers avec une résilience embarquée.